Jean-Gabriel PELTIER, Journaliste français (1760 - 1825) - SUITE


L'EXIL

Il a 32 ans quand il débarque à Deal pour un exil de 30 ans ! Il gagne Londres rapidement, il y retrouve toute une société dont la plus part des membres sont dans la misère, pour survivre Jean-Gabriel fait fabriquer une mini-guillotine en acajou et chaque jour dans un stand exécute une volaille (1), il annonce: "today we guillotine a goose, tomorrow a duck", le prix du spectacle coûte entre 1 shilling et une couronne, selon la place...
Parallèlement il entreprend d'écrire les dernières journées qu'il vient de vivre à Paris: Dernier tableau de Paris, paru d'abord en fascicule puis en deux volumes, il va avoir un grand retentissement et être traduit en anglais. C'est le début d'une longue série de journaux tous éphémères, sauf Paris parut de 1795 à 1802 (William Pitt souscrivit à Paris pendant l'année 1795) et l'Ambigu en 1803 qui durera 16 ans. Très bien documenté ces journaux avaient une grande vogue dans les pays où résidaient des émigrés français.
Pour améliorer son ordinaire, il a su servir d'intermédiaire et jouer de ses relations créoles de Saint-Domingue et de Bretagne, il a spéculé et sans doute joué, ce qui explique ses fortunes diverses. Pendant les périodes fastes il en a fait profiter ses amis, comme Chateaubriand, leurs familles se connaissaient, le père de Chateaubriand avait redoré son blason dans le "commerce" à Nantes.
Chateaubriand collabora à la feuille périodique Paris pendant l'année... et y fit paraître en particulier Le cimetière de campagne, élégie imitée de GRAY, et la Réponse générale.

La comtesse Walsh de Serrant
Portrait au château de Serrant

Jean-Gabriel est de toutes les réunions, est reçu chez la comtesse Walsh de Serrant, où l'on lisait les oeuvres de son ami Fontanes, il chante, plaisante et pérore dans les dîners, on l'écoute car il est bien informé et a plus d'une corde à son arc ; sa connaissance de l'anglais lui permet d'être reçu dans la meilleure société anglaise, de travailler pour les journaux londoniens et de faire des traductions pour le Foreign Office. Ses relations lui permeteront d'intervenir en faveur des écrivains émigrés français auprès du Literary Fund, sa notoriété et la qualité de ses informations lui vaudront d'être salarié puis pensionné du gouvernement anglais...pour "Secret service" !

Ceci ne l'empêchait pas d'être au service du futur Louis XVIII et d'avoir ainsi un monopole de la presse émigrée.
Le 13 juillet 1799, Jean-Gabriel épouse Anne Andoe (fille d'un distillateur irlandais établi à Bordeaux), Fontanes écrira d'elle "Elle me semble réunir ce qu'il y a de mieux en France et en Angleterre".
Elève de l'abbé Caron, elle réussi à le rendre "converti et attendri"... malgré cela lors de sa banqueroute on trouvera de nombreuses factures de bijoux impayés, aussi quelques années après Anne Peltier pour préserver sa fortune a-t-elle demandé la séparation de biens.

Au milieu de toutes ses activités Jean-Gabriel va jouer un rôle important dans un véritable roman: le projet de Charlotte Walpole (Mrs Atkins), celle-ci séduite par la Reine au cours d'un voyage en France décide de libérer Louis XVI. La mort rapide du Roi va l'inciter à se rendre seule à Paris pour voir la Reine, visite inutile, à la mort de celle-ci, Mrs Atkins va décider d'enlever le dauphin et de lui substituer un enfant, Peltier ne s'associât pas à ce nouveau complot qui va échouer. Mrs Atkins y laissera sa fortune, victime d'escrocs et de ses dépenses extravagantes, elle avait même acheté un vaisseau qui croisait au large des côtes de France, elle mourut dans la gêne, bien mal récompensée de son dévouement aux Bourbons. (2)
la reine Marie-Antoinette
Partie prenante de toutes les disputes entre émigrés dans son journal le Paris; Peltier garda le meilleur de sa verve pour "Buonaparte", sa Majesté Napoléon-Ali-Buonaparté et sa famille, au point de déclencher l'ire du Ier Consul. Intouchable tant que l'Angleterre et la France étaient en guerre, Peltier fut l'objet d'une plainte pour diffamation de Napoléon lors de la paix d'Amiens ! Le 21 février 1803 le procès s'ouvre à Westminster, d'un côté Bonaparte Premier Consul (et journaliste "attitré" au Moniteur, seul journal autorisé en France) de l'autre Peltier et l'Ambigu, soutenu par une partie de la presse d'opposition britannique, le gouvernement anglais se contentant de rappeler que la presse est libre... Malgré le ridicule de la situation, le procès était important ! Peltier avait un des meilleurs avocats James Mackintosh, qui fut fait chevalier à la suite de sa plaidoirie, celle-ci fit le tour de l'Europe. Devant un parterre d'ambassadeurs, il ne fallu qu'une minute au jury pour condamner Jean-Gabriel, mais la sentence ne fut jamais appliquée, c'était décidément un procès politique. Peltier ne fut pas plus satisfait du jugement que Napoléon, les journaux de France reçurent défense de faire l'éloge de la plaidoirie sous peine de suppression ! Ultime vengeance de Napoléon: la confiscation des biens Peltier en France, en effet, dans la semaine de sa condamnation (le 21 février 1803), il nous dit: "J'ai perdu père, frère et soeur, et tout ce que j'avais à attendre de patrimoine".
Jusqu'à la fin l'Ambigu poursuivra ses attaques contre Napoléon, dénonçant les pertes humaines, déplorant les victoires de Napoléon ..., son analyse des campagnes d'Espagne puis de Russie sont clairvoyantes, il s'appuie sur des extraits de journaux étrangers, et compare les communiqués des armées ennemies. La chute de l'Empereur le comblera de bonheur.


(1) From Carpenter, "Refugees of the French Revolution", p. 73.
(1) Retrouvez Jean-Gabriel dans le roman historique
"La Messe Rouge" de Juliette BEZONI
Editions PLON, 75284 PARIS

Frontispice de l'Ambigu ajouté au journal après son procès contre Napoléon.