Four à goémon, croquis de XL
Le métier du goémon
Être goémonier, c'est appartenir au monde de la mer, toutefois, ce ne sont pas les ressources animales qui sont recherchées, dans le cas présent, ce sont les algues, le goémon, qui font l'objet d'une véritable "pêche".

Signalée dès le cinquième siècle, la récolte des goémons s'est longtemps cantonnée à la coupe des espèces lors des basses mer. Au commencement du 19ème siècle, les débuts de l'industrie de l'iode imposent de nouveaux usages, car les goémons recherchés, "les laminaires", sont rarement exondés par la marée. Il faut alors disposer de bateaux pour aller les couper en profondeur. Si la coupe des goémons de rive pouvait être pratiquée par les paysans des fermes littorales, celle des goémons de fond réclame la compétence de marins expérimentés.

A l'instar de tous les marins français, le goémonier commence à naviguer comme mousse très jeune, dès 14 ans. Il sera inscrit maritime, ce statut est particulier, c'est la réserve d'hommes de la Marine Nationale. A ce titre, il y fera ses classes: le service militaire d'une durée de 7 ans au départ est ramené à 2 ans par la suite. Libérés de leurs obligations, les hommes naviguent, selon les besoins financiers de la famille, soit à la pêche, soit au goémon, soit sur les navires de commerce. La vie des goémoniers a oscillé entre le commerce et le goémon, en effet, après la grande guerre, les besoins en iode, sont énormes.
Déchargement du goémon, dessin de X. de Langlais
Les usines apparaissent en divers points du littoral. Dans le voisinage de Porspoder, il en existe quatre, l'usine Carof, la plus ancienne, est sur Portsall, l'usine Pavot s'est installée à Argenton vers 1920, plus modeste, l'usine Vienne a trouvé place sur les bords de l'Aber Ildut en Brélès, plus modeste encore, est la brûlerie de Melon. Dans les années 20, la récolte des goémons assure avec l'agriculture l'essentiel des revenus de la commune.
Si l'hiver est une période de relative inactivité, chaque tempête apporte des algues que les hommes ramassent et stockent par ensilage dans l'attente du printemps. En avril, les champs de laminaires se renouvellent, les anciennes feuilles sont rejetées et s'entassent sur les grèves, aussitôt recueillies, elles sont mises à sécher sur les dunes avec le goémon de l'hiver. A ce travail, qui se poursuite en mai, s'ajoute la coupe des goémons de rive, il s'agit de "fucades".
La vocation de ces algues est agricole. Une partie sera utilisée pour fertiliser les terres des goémoniers, qui tout en étant marins disposent aussi d'une ferme. Le surplus sera échangé dans les fermes de l'intérieur contre des denrées alimentaires et du bois de chauffage.
En mai, débute la coupe des laminaires à partir des bateaux. Courant juillet, le stock d'algues séchées commence à être imposant. Dès que les vents le permettent, les goémoniers vont se transformer en "soudiers", les algues sèches sont brûlées dans les fours à soude.
Meule de goémon, croquis de XL
La côte prend alors l'aspect des villes industrielles. De lourds panaches de fumée s'étirent à longueur de dunes. La densité de ces fumées est parfois telle que les caboteurs peinent à reconnaître les amers de terre, rendant ainsi leur navigation difficile. Le mois d'août voit les mêmes scènes. En septembre, la mer va s'alourdir, le goémon devient rare, les tempêtes se préparent. Il faut rentrer les bateaux.

Au début des années trente, c'est une tourmente d'un autre ordre qui secoue le monde goémonier. L'iode retiré des nitrates du Chili se vend à un prix que les usiniers bretons ne peuvent concurrencer. La compétition est telle que certaines usines doivent cesser toutes extractions. A l'Aber Wrac'h, l'une d'entre elles ferme ses portes sans avoir versé un centime de tout l'été à ses fournisseurs ! En 1936, avec l'avènement des congés payés, ce sont des escouades entières de goémoniers qui proposent leurs services aux arsenaux ou auprès des armements au long cours. La débandade est totale C'est dans ce contexte que les goémoniers essayent de constituer un syndicat pour essayer de défendre la profession.

Ce n'est que vers les années 50 que les goémoniers vont équiper leurs bateaux de moteurs, leur faible rentabilité ne les incitaient pas à faire cet investissement, de plus les premier moteurs à essence ne convenaient pas aux bateaux: d'une part parce que la magnéto était extrêmement sensible à l'humidité et surtout parce le moteur étant situé dans la cale à goémon et le lancement se faisant à la main avec une manivelle, pour y avoir accès il fallait laisser de l'espace devant le moteur, ce qui reportait la charge du goémon sur l'avant et faisait piquer le bateau du nez. Cela va entrainer une modification des formes de bateaux, une augmentation de leur taille et une amélioration de leur qualité.

Parallèlement des recherches sont entreprises pour mécaniser la récolte, après plusieurs essais un bateau le "Jean-Ogor" équipé d'un "skoubidou" est lancé en 1967.

Cette modernisation entraine une amélioration des conditions de travail mais aussi la disparition des matelots, certains goémoniers se spécialisent ils ne sont plus agriculteurs, mais pêcheurs du mois de novembre à avril.

De tous les outils traditionnels seule aujourd'hui la faucille sert encore.
L'usage qui est fait des algues a beaucoup évolué ces dernières années. Sans être un produit alimentaire comme en Extrême-Orient (Chine Japon Corée), les algues sont utilisées comme adjuvants dans l'industrie alimentaire pour fabriquer des colloïdes (épaississants, émulsifiants, gélifiants) . On les retrouve aussi dans l'industrie: textile, papetière, cosmétiques et pharmaceutique. Un renouveau de l'utilisation des algues dans l'agriculture est en cours via les activateurs de croissance (en horticulture) et l'alimentation du bétail. On est bien loin de la soude...
Pierre ARZEL