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II - Suite
C'est votre numéro-matricule originel que je voudrais savoir.
-Je n'ai jamais entendu parler jusqu'ici d'une pareille chose, avoua-t-elle enfin avec une telle expression de stupeur que sa Proéminence, se souvenant brusquement qu'il avait affaire à une fille continentale, s'oublia jusqu'à lui jeter au visage :
-A quoi pensais-je ? Insensé qui gaspillerait son temps à rechercher le numéro-matricule d'une fille non immatriculée !
Son intention de l'humilier était si manifeste qu'elle en rougit de déplaisir, - comme s'il eût dit : « une fille d'origine inconnue, née de père et de mère inconnus » - et que du coup, rejetant en arrière d'un mouvement plein de vivacité sa longue chevelure flottante, elle lui répliqua, ses yeux clairs rivés sur les yeux mornes du monstre :
-Chaque pays a les lois qu'il lui plaît d'avoir.
Paroles insignifiantes en elle-mêmes mais prononcées de telle façon, et accompagnées d'un tel regard, que l'Ilesousclochien, redevenu plus doux qu'un agneau sous le fer du tondeur, se prit incontinent à redouter les entreprises dont la fille sauvage à petit crâne pourrait être capable s'il commettait la folie de la contrarier d'avantage.
Effectivement, s'empressa-t-il de reconnaître, chaque pays a ses routines impératives bonnes ou mauvaises. Rien de plus positivement scientifique. Et là-dessus, tournant court, il lui demanda enfin, en se reculant d'un pas ou deux, pourquoi elle avait frappé de la sorte dans ses mains.
-Mes vêtements m'ont été enlevés tandis que je dormais.
-Par « vêtements » voulez-vous désigner cette espèce de fourreau ligneux qui vous recouvrait lorsque vous échouâtes sur le rivage de l'Ile, nul ne sait trop par quel artifice ?
-C'était effectivement ma tunique ; rendez-la moi, s'il vous plait, pour que je puisse me lever.
Comment l'Ilesouclochien l'eût-il cru lorsqu'elle se prétendait incapable de quitter sa couche avant d'avoir emprisonné ses membres dans ce sac ouvert des deux bouts qu'elle appelait sa tunique ? Devant son air abasourdi, elle tenta de s'expliquer :
-Dans mon pays...
-Un singulier pays, à ce que j'entends, sauf votre grâce, fille sauvage ! trancha-t-il, sans oser toutefois affronter à nouveau la flamme qui brillait dans son clair regard.
« Ici notre régime climatérique est si égal que nous n'avons jamais à en redouter aucune surprise, ni en trop ni en trop peu.
-Ce n'est pas seulement cela ; je ne suis pas habituée à me promener ainsi toute nue et j'aimerais...
-Laver et teindre votre corps avant de le propulser à l'extérieur ?
-Teindre mon corps ?
-Et le laver. Rien n'est plus juste ! Mais excusez-moi, reprit-il brusquement, comme s'il se fut souvenu de quelque empêchement majeur, il serait en effet plus rationnel que vous attendiez pour vous lever la décision du Grand-Conseil de la Roue, relativement à la couleur de l'enduit corporel dont il convient de vous teindre.
-De me teindre ? s'enquit pour la seconde fois l'étrangère.
-Sans doute dans votre pays ignore-t-on aussi ce que sont se laver et se teindre ?
-Se laver, je sais ce que vous voulez dire, mais se teindre je n'en ai pas la moindre idée.
-Etrange nation, conclut-il, je n'aurais jamais cru à pareille impudeur même du plus primitif des peuples. Mais voici la baignoire à lessive !

Liliana n'est qu'au début de ses découvertes dans ce monde si étrange où elle vient d'échouer, pour connaitre la suite de ses aventures il faudra vous rendre chez votre libraire habituel...