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Choisir entre le savoir et la nature de l'homme semble être le dilemme qui sous-tend la littérature d'inspiration scientifique au XXième siècle. À travers ce choix se dégage une interrogation sur cette nature, que l'on cherche à définir de manière soit scientifique soit poétique, autrement dit par deux questions différentes, voire opposées : qu'est-ce que l'espèce humaine et qu'est-ce que l'homme.
Herbert George Wells (1866 - 1946) est souvent considéré comme le "père de la science-fiction". Ses écrits vont des romans aux articles de presse où il exprime ses pensées politique et philosophique. Celles-ci concernent en particulier le socialisme et le matérialisme. Mais il dénonce également les risques de détérioration de l'humain de la société dans laquelle il vit.
Dans L'Île du Docteur Moreau (1896), c'est la vivisection et la chirurgie qui modifient les espèces. Le docteur Moreau, biologiste solitaire, est isolé dans son île avec pour seuls compagnons un ancien étudiant en médecine et ses propres créatures. Avec la vivisection, il essaie de transformer l'animal en homme. Par là il change la nature humaine elle-même, ou tout au moins la met en question, puisque finalement elle ne tient pas, semble-t-il, à quelque chose de sûr. L'arrivée d'un autre personnage dans cette île étrange, Edward Prendick, va bouleverser cette situation et causer, avec la mort de Moreau, le retour progressif mais précipité des créatures vers leur état animal antérieur.
Xavier de Langlais (1906 - 1975) est plus connu pour son oeuvre peinte et gravée que pour son oeuvre écrite. Son parcours intellectuel et artistique le présente sous un aspect que l'on pourrait qualifier de multiforme. Il manifeste un engagement en faveur de la langue et de la culture bretonnes, s'intéresse à toutes sortes de supports plastiques. Il exploite également plusieurs genres littéraires, théâtre (Les deux visages, 1933 ; La danse de la mort et de la vie, 1938), poésie (Marche !, 1930, Chants dans la Nuit, 1932), réécriture et adaptation ( Tristan hag Izold, 1958, Le Roman du roi Arthur, 5 tomes, 1965 à 1971), essais (L'âme des lignes, 1942, La technique de la peinture à l'huile, 1959), et science-fiction, avec L'Île sous Cloche.
C'est l'année de la mort de Wells, en 1946, que paraît ce roman. La version originale en breton, Enez Ar Rod, n'a pu être publiée, pour des raisons pratiques, qu'en 1949. Le roman présente une autre création. Ici, l'homme s'est recréé lui-même pour se faire machine et a enfermé son « âme », devenue superflue, dans un Puits. Ces corps sans âme évoluent désormais dans une société elle-même déshumanisée, qui n'existe plus que par le travail. Celui-ci consiste à creuser toujours davantage l'île, produire des armes pour se battre par jeu, se procréer artificiellement, et, jeu suprême sur l'île, faire tourner la Roue - la « muer » et la « roter » - pour promulguer des lois ou les abroger. Il leur faudra le secours d'une autre âme, celle de Liliana, jeune fille sauvage et continentale, pour retrouver leur véritable humanité.
Xavier de Langlais et Herbert George Wells s'inspirent tous deux des recherches scientifiques de leur temps - l'évolution des espèces, la tératologie ou la fission de l'atome - et traitent le même thème de l'homme créateur de sa propre espèce. Il nous paraît donc pertinent de mettre en comparaison les deux romans, tant du point de vue de leur écriture que des aspects philosophique et éthique qui se dégagent de leur lecture. Les enjeux des deux romans se rejoignent en effet sur cette volonté de trouver l'origine et la nature de l'homme.
Mais l'Île sous Cloche et L'Île du Docteur Moreau prennent ensuite des directions opposées, le premier se rapprochant davantage du Meilleur des mondes d'Aldous Huxley par sa description quasi sociologique d'une communauté, et le second de Frankenstein de Mary Shelley par l'aspect de création biologique artificielle mêlée de cruauté et d'horreur qui s'en dégage. D'une certaine manière, L'Île sous Cloche nous montre une société déjà accomplie et L'Île du Docteur Moreau son ébauche. Le traitement de la nature et de l'origine de l'homme diffère dans les deux romans, et cette différence permet d'établir une vision et une philosophie particulières à chaque auteur. C'est donc à travers un même départ générique et des objectifs parallèles que les deux oeuvres prennent position différemment.
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