Le peintre de chevalet

 

Comme on l'a vu, le plus grand plaisir de mon père, était celui de se trouver devant un grand mur blanc à décorer, les toiles de petites dimensions ne l'intéressaient pas à l'époque florissante de l'avant-guerre. Durant cette période, peu de toiles ont été réalisées,elles sont difficiles à dénombrer, il vivait de ses commandes d'art religieux. Ces toiles n'étaient pour lui qu'un mode d'expression, un exercice ou une distraction. Mais celles qui existent sont exceptionnelles, car elles nous permettent de suivre son évolution

Les quelques spécimens que nous avons retrouvés, nous montre un artiste en recherche, ne faisant aucune concession. Il dessine ce qu'il ressent, sa jeunesse le rend plein de fougue, son trait est appuyé et souvent cerné de noir. Il émane de ses personnages une certaine nostalgie, les thèmes sont l'homme et la femme, ou l'un ou l'autre, les couleurs sont diluées, pour ne pas dire un peu fades. Puis, avec le temps, les contours s'adoucissent, les sujets sont toujours nostalgiques, mais les couleurs deviennent plus chatoyantes, on est encore très loin du Xavier de Langlais des années soixante.

Comme beaucoup de peintres, lorsqu'une toile ne lui plaisait pas, il la détruisait! C'est précisément ce qu'il fit pendant toute cette période. J'ai en mémoire un de ces exemples, plus récent celui-là, "L'aveugle jouant de la flûte" oeuvre datant des années 50, que j'aimais beaucoup et que j'allais admirer de temps en temps dans sa réserve. Un jour, ne la trouvant pas, je lui demandais où il l'avais rangée. Et, comme un enfant pris en défaut, il m'avoua qu'un peu hâtivement, il l'avait détruite! Devant mon désappointement, pour se faire pardonner, il m'offrit le dessin préparatoire, un magnifique fusain.

Ce n'est que vers 1942, qu'il commencera véritablement à produire un assez grand nombre de peintures sur toiles, suffisamment pour réaliser des expositions. Nous pouvons noter la remarquable évolution de son style et de sa peinture! Son thème favori, la femme, déclinée à tous les temps et à toutes les "modes". Suivant les époques, ce sera la femme dans la terreur des bombardements, des joueurs d'instruments de musique, Adam et Eve au paradis terrestre, il en a peint plusieurs, et cela a frappé mon imagination d'enfant, c'était le pêché Originel... avec tout son mystère. Je ne sais pas Si ces toiles ont été vendues ou détruites . Des femmes croquant une pomme inspiré du même sujet, femmes tenant un bouquet, femmes avec foulard selon la mode de l'époque, des danseuses. Il aimait le spectacle de la danse.

Comme beaucoup d'autres personnes, je me suis souvent posé la question de savoir pourquoi il privilégiait les sujet féminins et pourquoi il ne représentait pas plus souvent des sujets que je qualifierais de bretons. Sa réponse fut à la fois simple et ambiguë, bien que lui-même Breton, il n'aimait pas, ce qu'il appelait avec un certain dédain, les "bretonneries". Il laissait donc à d'autres, sous entendu moins talentueux, ce mode d'expression. Bien que n'ayant pas voulu aller vivre à Paris, il voulait faire une peinture que je qualifierais, universelle, non marquée par son terroir d'origine. Il pensait sans doute que par ailleurs, il s'était suffisamment impliqué pour la Bretagne, tant par ses gravures que par ses écrits pour qu'on ne lui contesta pas ce mode d'expression. Dans ce domaine, personne n' a réussi a le faire changer d'avis. Alors qu'il avait la capacité, le talent nécessaire pour s'exprimer autrement. Puisque telle était sa volonté, je la respecte.

Il n'aimait pas être interrogé sur sa peinture ou sa manière de peindre. Je me souviens avoir vu mon père hors de lui, à cause d'une question posée par l'un de ses lointains cousins, lors du vernissage de l'une de ses expositions : "Langlais expliquez-moi la peinture". Question restée sans réponse, comme l'on pouvait s'y attendre, mais qui a marqué mon imagination et m'a permis d'être prudent à l'avenir ! Pour lui, il peignait suivant son inspiration du moment, une peinture n'avait pas à être expliquée, c'était bon ou mauvais et pour lui même, tout ce qui était médiocre devait disparaître, il ne se faisait pas de concessions. Si certains lui ont reproché de faire toujours la même chose c'est par méconnaissance de son oeuvre, c'est vrai que la femme est souvent présente dans son oeuvre mais elle a été déclinée sous toutes ses formes les plus admirables et son style n'a cessé d'évoluer tout au long de sa carrière autour de ce sujet. Par contre, l'on peut avoir une prédilection pour une période ou l'autre, pour ma part, je préfère la période des années 1950 à 1960 aux formes plus rustiques, plus personnelles que celles de ses dernières années aux formes et aux dessins atteignant presque la perfection peut être au détriment de la personnalité de l'artiste.

Cependant comment rester indifférent à cette magnifique tête de Christ, réalisées peu de temps avant sa mort ?... Je pense que son professorat à l'école des Beaux-Arts de Rennes, n'aura pas été étranger à la qualité de son dessin, à cette perfection des formes qu'il recherchait à la fin de sa vie. A ce propos, il est intéressant de comparer certaines de ses gravures réalisées vers 1942 ou 43 pour illustrer, par exemple, le roman de Tristan et Iseult de Bédier avec son propre roman Tristan hag Iseult, où il a repris exactement les mêmes sujets, dans les mêmes attitudes, on constate alors que la forme du trait est bien différente, l'ovale des visages est beaucoup plus doux, beaucoup plus précis que les visages anguleux du premier. J'ai un petit regret pour le Xavier de Langlais première manière, plus spontané.

Les chevaux ou d'autres sujets, comme le cirque, l'inspiraient beaucoup, il aimait les gens de la balle pour leur habileté ou leur spontanéité. Je me souviens l'avoir souvent accompagné. Il se munissait de son éternel carnet à croquis qui ne le quittait jamais. En quelques instants, il avait saisi le geste, l'attitude qui l'intéressait et qui lui servira plus tard à réaliser un sujet plus important.

Très exceptionnellement, il fit des scènes comme le marché de Plougastel, par exemple.

 


Le dessinateur

 

A cette époque, Si la femme tenait une place prépondérante dans son oeuvre, son style n'avait cessé d'évoluer tout au long de sa carrière autour de ce sujet, y compris dans ses nus féminins qui sont fort peu connus. Ii en exposait très peu, alors que cela représentait une grande part de son travail artistique. C'était, disait-il, la meilleure façon de garder son coup de crayon, le corps humain étant pour lui ce qu'il y avait de plus beau, mais aussi de plus difficile à dessiner. La plupart de ses dessins sont réalisés au fusain, quelquefois réhaussés de craie ocre jaune, exceptionnellement de sanguine. Un autre aspect de son oeuvre est encore à noter ici, c'est l'extrême chasteté et la pureté de ses personnages qui lui valaient souvent les félicitations du monde religieux qui l'admirait.

Il a fait également un certain nombre de portraits, tous très typés... Mais cela n'était pas sa véritable vocation. Il avait besoin d'avoir la liberté de pouvoir s'exprimer sans contrainte. Il en a fait d'excellents lorsque c'était lui qui offrait ses services... en fait lorsqu'il choisissait son modèle! Pour son ami Michel de Gaîzain, il a réalisé d'admirables copies d'ancêtres, des copies de portraits certes, mais surtout une véritable oeuvre personnelle et de grande qualité, où l'on retrouve tout le style qui lui est propre. Pour un autre ami, Gonzague Le Mintier de Lehelec, il réalisa un non moins admirable "Sol de Grisolles" général chouan, successeur de Cadoudal.

Il a exécuté de très émouvants paysages, pleins de sensibilité qui ont fait l'objet d'une grande rétrospective à Rennes. Malheureusement, ils sont peu nombreux par rapport au reste de sa production.Peu de toiles en dehors des monts d'arrée et de quelques paysages de l'île de Sein ou de Ouessant, mais surtout des dessins rehaussés de gouaches. Certains sont très colorés, les formes toujours admirables, certains sont poussés, d'autres sont de simples esquisses très évocatrices. La nostalgie que l'on rencontre dans l'expression de ces visages se retrouve exprimée de façon différente, mais réelle dans la composition et le choix de ses paysages. Ce sont, des paysages arides, une mer tourmentée ou un arbre torturé par la nature...

Gaëtan de Langlais     

 

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