Paul Helleu
(1859-1927)

Paul Helleu est né à Vannes un jour de décembre 1859. Sa mère, Marie-Esther, une jeune Parisienne, restée veuve à 28 ans, va s'atteler à la rude tâche de gérer ses terres dans la presqu'île de Rhuys. Elle plantera de la vigne, ce qui lui vaudra d'être la première femme décorée du mérite agricole. Elle repose aujourd'hui au cimetière de Sarzeau, près de son mari, César Helleu.

La relation de Paul Helleu à sa région natale reste, faute de documents connus, une énigme. Mais l'enfant et l'adolescent sensible qu'il était n'a pu être indifférent à l'infinie variété des gris lumineux de la presqu'île. Cette bande de terre entre golfe et océan, et la mode du yachting qui s'y développe alors, seront à l'origine, dès 1898, de l'extraordinaire passion de Helleu pour la mer et les grands voiliers. On le voit, en 1903, à bord du yacht L'Etoile au large de Dinard, mais si le Parisien qu'il était a préféré les côtes normandes à la Bretagne, c'est que le tout Paris s'y pressait.

On a beaucoup insisté sur son opposition à sa mère, inquiète de lui voir préférer la création aux solides certitudes du travail de la terre. Mais les relations difficiles sont souvent le lot des caractères forts. En fait, Paul Helleu admirait profondément cette femme cultivée et indépendante.

On est surpris, partant à la recherche du personnage Helleu, du peu d'écrits le concernant. La connaissance de l'homme et de l'oeuvre reste très fragmentaire. Les mêmes références ou anecdotes sont mises en lumière alors que de grands pans d'ombre subsistent.

Les photographies de Paul Helleu nous livrent une silhouette mince et grave, un visage au regard fiévreux laissant deviner un personnage sensible jusqu'à l'excès, précieux, tendu. La générosité et la modestie figurent aussi au nombre des qualités appréciées par ses contemporains.


Portrait de femme , Photo Yvon Boëlle
pointe sèche, Collection Musée de Vannes (56)
Helleu s'est véritablement révélé au monde de l'art par ses portraits gravés. Pourtant, l'extraordinaire virtuosité de sa pointe sèche ne suffit pas à justifier cet immense succès. Non seulement Helleu restitue parfaitement la beauté de ses modèles, mais en plus il suggère et protège tout à la fois leur mystère. Le visage de ces belles femmes ne cache-t-il pas les passions ou les frustrations des héroïnes de Balzac ou de Flaubert ?
Sa propre femme maintes fois surprise dans des gestes aussi familiers que prendre une tasse de thé ou contempler des gravures, apparaît toujours d'une rare distinction faite de grâce et de retenue, ce qui la rend étrangement inaccessible.

Dans ses nombreux dessins d'enfants, Helleu fait passer une infinie tendresse, jamais mièvre pourtant. Il a compris la gravité du monde de l'enfant, a su capter les regards directs d'une « petite fille aux yeux foncés », l'attitude concentrée d'une lecture ou d'un jeu. Le dessin de Helleu révèle l'identité de l'enfant, notion fort en avance sur son époque.
Si les portraits ont rendu Helleu célèbre, cet aspect de son oeuvre ne doit pas faire oublier qu'il est avant tout peintre.

Sa vie entière aura été une quête inlassable et exigeante de la forme et de la couleur, poétiquement retranscrite.

Helleu avait 15 ans quand il a découvert l'impressionnisme. Les pionniers de ce courant sont donc largement ses aînés. D'eux, il tirera la grande leçon de la lumière. Proust qualifie Elstir de « peintre de la lumière, de la métaphore ». On sait que Helleu a très largement inspiré le personnage du peintre de « A la recherche du temps perdu ». Comme lui, Helleu opère une métamorphose des formes. Il efface les frontières entre terre et mer, eau et air, ses paysages marins sont fluides. Turner n'a pas laissé indifférent cet artiste si passionnément anglophile. Helleu ne représente pas, il rêve ses paysages.

Il n'est d'aucune école exclusivement. Si, des Impressionnistes, il a retenu la lumière, les Symbolistes lui ont ouvert les portes d'une sorte de mystique païenne. Helleu connaît Odilon Redon.

Comme Elstir, il connaît aussi l'art du Moyen Age, par les écrits d'Émile Male et par ses longues séances de travail dans les cathédrales : Chartres, Reims, Notre-Dame de Paris, Rouen et la basilique Saint-Denis. Comment un être sensible pourrait-il résister à l'atmosphère envoûtante de tels lieux ?

De la même manière, Versailles et ses jardins, inlassablement peints, symbolisent, pour Helleu, le passé chargé d'histoire. Il les aimait particulièrement en automne ou en hiver, saisons empruntes de mélancolie. Peu de créateurs, en cette fin de siècle, échapperont à l'atmosphère de déclin, partout perceptible. Huysmans ira très loin dans l'évocation d'une société désabusée.

Helleu est à la charnière des deux siècles. Il peint et appartient à un monde tourné vers le passé, pourtant il a des tentations modernistes. Dès 1884, il invente de peindre en blanc les intérieurs et adopte une écriture graphique parfois surprenante, qui nous interdit de ne voir en lui que le chantre de la « Belle Epoque » avec tout ce que cette image véhicule de légèreté superficielle.
Huile sur toile, Photo Olivier Caijo
Collection Musée de Vannes
Paul Helleu fait partie de ces créateurs qui, sans être fermés aux préoccupations de leur époque, restent délibérément en marge de presque tous les courants, préoccupés simplement de leur oeuvre et cheminant seuls, d'un siècle à l'autre.

Marie-Françoise Le Saux
Conservateur des Musées de Vannes