Présentation de l'église Notre Dame des Moissons le 24 mai 2019
Paroisse de Surzur (Morbihan) - Décoration de Xavier de Langlais juin 1939

par Gaëtan de Langlais



Je vais commencer par vous présenter brièvement l’église de Surzur qui est sous le vocable de Saint Symphorien, martyre de la foi chrétienne, originaire d’Autun et mis à mort vers l’an 179 ; il est fêté le 22 août. Ce jour-là, les fidèles de la paroisse se donnent rendez-vous à la fontaine du bas du bourg qui lui est dédiée et remontent en procession vers l’église en chantant des cantiques composés en son honneur.



Cette église, malgré l’aspect néogothique de son important clocher est de style roman pour le corps principal qui date du XIIe siècle au moins, selon les experts. Son plan est en forme de croix latine avec deux bas-côtés. Le retable lui est postérieur, il est daté de 1751 et est de belle facture. Le tableau qui est incorporé au retable est dû au peintre Devouge et est daté de 1810. Celui-ci, tombait en lambeaux, mangé par le « chanci ». Il a été restauré dans les années 1980 sur mon initiative. Ce travail a été exécuté par Odile de Cambourg, sœur de Marie-Hélène, mon épouse.

Jusqu’à l’arrivée du recteur Cadoret au début du XXe siècle, le cloché de Surzur avait le même aspect que celui d’Ambon, paroisse située à seulement quelques kilomètres de Surzur. Le chanoine Le Mené, en 1894, le décrit ainsi : « Sur l’intertransept s’élève une tour carrée, à petites baies romanes, surmontée d’une flèche en ardoise ». Mais notre nouveau recteur, épris de modernisme, fit appel à la générosité de ses paroissiens pour mettre son église au gout du jour afin de la doter d’un clocher digne de la paroisse qu’il dirigeait… C’est ainsi qu’en 1900, il met son projet à exécution. À cette fin il sollicita ses paroissiens et plus particulièrement, ceux des campagnes pour organiser le transport des matériaux qui servirent à l’édification du nouveau clocher. Ce transport se fit à l’aide de charrettes tirées soit par des bœufs, soit par des chevaux, les premiers tracteurs n’ayant fait leur apparition qu’au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Nous possédons la liste de ces bénévoles, il serait trop long de tous les citer.




Dans les cahiers de la paroisse, notre recteur a laissé une petite note à l’usage de ses successeurs dans laquelle il dit se rendre compte que son œuvre risque d’être contestée, mais peu importe, il en assume la responsabilité et que c’est son choix… L’architecte fut un nommé Caubert de Cléry architecte installé à Vannes, il est un proche de l’abbaye de Solesmes, il a déjà construit plusieurs églises dans le Morbihan dont l’abbaye de Kergonan. Dans la petite histoire familiale, ce n’est pas un inconnu, car il est également l’architecte de Cohanno/Le Guermeur, Kerahuël, La Cour-Penvins, etc. Il est aussi un lointain cousin de Marie-Hélène !... Pour nos deux familles ce n’était donc pas un inconnu. Pure coïncidence !
Mon père, Xavier de Langlais, est né le 27 avril 1906 à Sarzeau et non à Surzur comme on pourrait s’y attendre. En effet, "Le Guermeur" ne fut construit que l’année suivante, en 1907. Mais dès 1908, Surzur devint sa petite patrie à laquelle, toute sa vie, il fut très attaché comme en témoigne les longues lettres de notre grand-mère qui, au cours de ses absences, le tient régulièrement au courant des principaux événements qui se passent dans "sa" commune.
Revenons à l’objet de notre rencontre, la petite chapelle dans laquelle nous nous trouvons est dédiée à Notre-Dame du Rosaire en souvenir de la confrérie dite du "Rosaire" fondée par Saint Dominique. Ses représentants allaient autrefois de paroisse en paroisse prêcher la bonne parole. La construction de cette chapelle daterait du début du XVIIe siècle. Elle fut d’abord la chapelle privative de la famille du Bot du Grégo. Au XIXe elle fut dotée de cette belle grille en fer forgée due à un autre surzurois, artisan forgeron nommé Le Joubioux.
Aujourd’hui nous venons admirer "Notre-Dame des Moissons" œuvre de Xavier de Langlais qui est datée de 1939. Selon les indications portées dans son journal de peintre. Il a commencé son travail le 11 mai 1939 et se déclare satisfait de cette première approche. Le 19 mai, fête de Saint Yves, précise-t-il, mon père ouvre à nouveau son journal et porte un premier jugement, mitigé, sur son œuvre : « Ma "Notre-Dame de Surzur" est pour ainsi dire, terminée. Une journée ou deux encore, et elle sera achevée.
Il est difficile pour moi de la juger ; j’aime ses couleurs, leur agencement, la matière spirituelle. Cependant elle est dessinée d’une manière trop "froide".
J’éprouve toujours la même inquiétude et le même souci de recherche. Je ne suis pas fait pour peindre des choses naïves, douces et faciles, dans un monde heureux, dans un lieu où il y aurait que jeunesse et beauté. Mon jardin à moi serait un petit jardin, intime, fouetté au quatre vents, éclairé par des fleurs étranges, ici et là. Les fleurs de la beauté, parmi les épines de la laideur.
27 mai 1939 – Ce jour-là, il se montre beaucoup moins pessimiste sur le rendu de son œuvre. Il écrit : « Achevé ma Vierge de Surzur, qu’en définitive, j’ai bien arrangé après avoir failli la gâcher complètement. À un certain moment, il ne faut plus toucher à une œuvre. On en est las, on la voit mal ou plutôt on ne voit plus que les défauts par lassitude et dégoût… et en voulant corriger des défauts qui peuvent être bien réels on a détruit le charme. »



On observera aussi que le visage de la Vierge est entouré d’une inscription en langue bretonne : « Santez Mari mamm hor Salver » ce qui veut dire en Français « Sainte Marie, mère de notre Sauveur ». Le breton étant encore la langue usuelle de la majorité des surzurois il n’est donc pas étonnant qu’elle soit rédigée dans cette langue. Ce n’est qu’après la guerre que le breton n’étant plus enseigné à Surzur, a disparu petit à petit. Pour moi, c’était hier…

        Et        


On remarquera également la présence de motifs décoratifs situés au niveau de l’autel tout à fait dans l’esprit des " Seiz Breur", ils sont également l’œuvre de mon père.
La Vierge Marie que nous pouvons admirer aujourd’hui est, à ma connaissance, la quatrième version de la représentation de la Vierge Marie On sait seulement que le recteur François Thébaud fit peindre, en remplacement d’un autre tableau en fort mauvais état représentant également la Vierge Marie, moyennant la somme de 300 francs, le tableau de la chapelle Notre Dame du Rosaire. Il est dû au talent du révérend père Marie-Joseph Belvaire, de la congrégation des sacrés Cœurs de Picpus de Sarzeau.
L’inventaire fait selon la loi en 1905, mentionne ce tableau dans la liste de ceux qui se trouvent dans l’église de Surzur, en ces termes : « et un, en très mauvais état, au-dessus de l’autel du Rosaire. »
Entre 1905 et 1932, l’état de ce malheureux tableau laissé à l’abandon, n’avait pas dû s’améliorer. C’est ainsi qu’il fut remplacé par une première peinture due au talent du jeune peintre, Xavier de Langlais ; il avait 26 ans à cette époque.
C’est un dépliant publié par l’atelier Breton d’Art Chrétien, datant du début des années 1930, qui nous apprend qu’une Vierge, dite de Surzur, se trouve dans cette église tenant l’enfant Jésus entre ses mains et à ses pieds des fidèles prosternés devant elle. Les femmes étant en coiffe de Surzur, ce qui correspond bien à la destination finale de cette œuvre, réalisée en 1932, d’après la date qui figure sur le dépliant bien qu’elle soit difficile à déchiffrer. Cette documentation nous précise qu’il s’agit d’une peinture murale réalisée au « Stic B » - Hauteur 2 m. 50 ». Son journal est muet sur cette réalisation, comme si elle n’avait jamais existé ! Pas davantage de traces dans les archives paroissiales. Cependant, en consultant la correspondance que mon père entretenait régulièrement avec son amis d’enfance, le peintre Xavier Haas, nous apprenons ceci, se trouvant dans une lettre datée du 31 juillet 1932 : « Figure-toi que je viens de décrocher une commande à 1.500 francs, cela fait toujours plaisir… et surtout cette fois ; la commande venant de Surzur ! L’argent du tableau a été trouvé en une matinée, c’est, je crois, le résultat de la "Réclame" que m’a fait l’inauguration de Sainte Anne. Une femme du pays a donné mille francs à condition que son nom soit connu de Dieu, seul. Ce qui m’a beaucoup touché, c’est que tous ont donné leur offrande d’autant plus volontiers, parait-il, que le tableau devait être fait par moi. « Du travail comme ça, vaut si cher. » ! Rien ne pouvait me faire un plaisir plus grand que cette spontanéité de geste.
Liberté m’est laissée en toute chose, sujet et exécution, seule la taille m’est imposée par l’ouverture de la boiserie dans laquelle doit s’encastrer mon tableau en remplacement d’une autre toile sans valeur, moitié disparue.
Un peu plus d’un mois plus tard, le 9 septembre 1932, il reprend sa plume pour informer Xavier Haas de la suite des événements : « J’installe tout à l’heure, mon tableau à Surzur, je t’enverrai des photos.»
Venant d’une autre source, les lettres de ma grand-mère à son fils, j’ai trouvé une lettre de celle-ci datant de courant février 1934, qui confirme la mise en place de cette peinture qui nous étonnait tant, n’ayant connu que la seconde version, celle toujours en place aujourd'hui. Cela lève le doute, si doute il y avait, la Vierge représentée sut le dépliant de 1932 a bel et bien été mise en place. Voici un extrait de cette lettre : « Guitte a beaucoup admiré la "Vierge de Surzur" mais elle a dû écourter sa visite car il y avait catéchisme, les enfants étaient si distraits par sa présence que Monsieur le curé, les menaçant de les mettre à la porte, c’est elle qui a pris cette dernière !... » Ce commentaire anecdotique nous permet cependant d’affirmer que la Vierge admirée en 1934 par Guitte, était bien celle du prospectus et non celle que l’on peut admirer aujourd’hui puisque cette dernière a été achevée le 27 septembre 1939, comme on l’a vu plus haut.
Comment expliquer cette substitution ? Pour ma part, je pense que l’initiative est venue de mon père qui lasse de voir ce tableau de jeunesse, aurait proposé au Recteur de le remplacer par un autre plus en harmonie avec son évolution de carrière et de la perception qu’il avait de la beauté et de l’art à ce moment précis de sa vie. D’autre part, côté paroisse, on voit mal le recteur, commander une nouvelle peinture, au même artiste, six ans plus tard. C’eut été considéré par les paroissiens comme une dépense somptuaire et inutile, je pense.
En effet, mon père, comme beaucoup d’artistes, avait la fâcheuse tendance à détruire les œuvres qui avaient cessé de lui plaire, on peut donc supposer que c’est le sort qui lui a été réservé et si tel est le cas, on ne peut que le regretter, car par la sobriété du trait, il s’en dégageait un style vigoureux et tout à fait dans l’esprit de son époque.
Le tableau que nous pouvons admirer aujourd’hui a bien failli subir le même sort que ses prédécesseurs, si l’on en croit le commentaire ironique et plein d’humour relevé dans son journal. La guerre est déclarée depuis quelques semaines et notre père s’attend à être mobilisé d’un jour à l’autre. Pour s’occuper, il se propose de peaufiner son œuvre mise en place quelques mois plus tôt et d’y apporter quelques améliorations… initiative peu appréciée par notre recteur, comme on va le voir à la lecture de son journal : « Le recteur de Surzur, l’abbé Maubihan m’a signifié ce matin comme je lui demandais la permission d’arranger un peu l’entourage de la "Vierge de Surzur" il me répondit qu’à son avis « cela n’en valait pas la peine » et comme je le poussais dans ses derniers retranchements « J’ai réfléchi à une chose Monsieur Xavier ! (Il a mis plus de six mois pour trouver ça) Votre vierge n’a pas encore été admise par l’évêché ! ? Oui depuis deux ou trois ans, il faut la permission de l’évêché pour l’intronisation de nouvelles statues ou peintures (sauf celles de Saint-Sulpice bien entendu, celles-là ont fait leurs preuves d’orthodoxie depuis longtemps) cela ne vaudrait donc pas la peine de repeindre l’entourage si elle devait être refusée !
Refusée !
À dire vrai, Monsieur Xavier, entre nous, s’il n’y avait que moi vous pourriez la reprendre « votre Vierge » je n’y tiens pas du tout. Oui à cause des cheveux bleus de l’enfant ! Tous mes confrères en « rigolent ». (Sic !)
Réponse de notre père : « Bien, j’irai à l’évêché samedi tirer au clair cette affaire de « commission d’admission » à laquelle je dénie toute compétence en matière de cheveux d’enfant Dieu. »
21 novembre 1939 - J’ai reçu de l’évêché une lettre des plus aimables m’autorisant à « utiliser mon… "Beau talent"… à l’intérieur des monuments religieux du diocèse ».
De ce côté donc plus d’objection.
C’est ce qui nous permet aujourd’hui de faire cette belle promenade dans le Morbihan.
Un peu plus loin, dans son journal, on trouve la suite des évènements :
« Je n’ai pu encore rencontrer mon brave recteur qui s’éclipse miraculeusement quand je cherche à l’atteindre. Hier soir, à la cure, je rencontre le journalier qui me dit : « Oui, oui, il est là ! ». Je l’appelle une fois, deux fois, personne. À ce moment, j’entends de l’autre côté de la porte une quinte de toux ecclésiastique ! … J’appelle de nouveau, pas de réponse !
Quelques lignes plus loin, il précise que son différend avec le Recteur de la paroisse est terminé et qu’ils se sont revus comme si rien n’était !
Restait encore à savoir qui était le commanditaire de la Vierge de Surzur ? Par déduction, la réponse me semble évidente, c’est l’abbé Charles Le Roch, installé Recteur de Surzur le 1er octobre 1923 et décédé le 12 septembre 1933, soit un an après la mise en place de ce tableau. Ce ne peut donc être l’abbé Maubihan qui a été installé Recteur de Surzur le 5 octobre 1933.
Ces deux dates nous aident à comprendre ses propos peu amènes prononcés par le Recteur Maubihan au sujet de ce tableau, ce n’était donc pas son affaire mais celle de son prédécesseur et de mon père. C’est sans doute la raison pour laquelle le Recteur s’autorise au cours de cette conversation, de lui proposer de reprendre purement et simplement « son tableau ». Oubliant que la première version avait été payée des deniers de la paroisse.
Voilà donc ce que je pouvais vous dire au sujet de cette décoration dont vous ne pourrez oublier la douceur du visage de la Vierge Marie qui apaise l’âme…
Un peu plus loin, dans son livre de peintre, mon père fait une allusion intéressante au sujet de la réalisation de cette œuvre et particulièrement à propos du visage de la Vierge :
« J’ai achevé aussi "La Vierge de la Mer" pour G. de G. Peut-être est-elle un peu trop de cette terre. Sans doute ai-je été influencé par le joli visage d’Anne–Marie Le B. que je dessinais au moment même où j’ai ébauché cette toile. Elle lui ressemble étonnamment, construction de visage et expression. Sans doute, n’aurais-je pas su exprimer le charme à ce point si je l’avais cherché. La vierge de Surzur est bien proche du même type mais plus interprété, plus profondément mienne, marquée de cette nuance de mélancolie dans la tendresse dont je ne peux me défendre. »



Gaëtan de Langlais

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